Renaudot : le bon choix
10.12.20 | Jean-Marc Providence, Directeur de l’ami

Cette semaine sera probablement la dernière consacrée aux Prix Littéraires[1]. Après avoir souri avec d’autres (article de M Le Monde du 29 septembre), du Renaudot, ce « Prix d’amis » – parfois encombrant – l’on ne peut que louer le choix de lauréate 2020 : Marie-Hélène Lafon et son livre Histoire du fils publié chez Buchet/Chastel.

@JL_Paille

L’Histoire du fils, qui est aussi celle d’un père 1-connu et d’une mère secrète se déploie sur un siècle, du début du XXe au début du XXIe.

Les qualités littéraires de Marie-Hélène Lafon sont connues, c’est son douzième livre, toujours chez le même éditeur. Elle dit qu’un des rares avantages de la « vieillitude » galopante – elle a 58 ans – c’est de se délester d’une forme de virtuosité narrative, d’épurer sa langue, de refréner le désir d’en découdre avec le verbe. Avec mes personnages, dit-elle encore, « j’essaye d’être à la fois dedans, à l’orée de leur conscience et de me tenir à bonne distance pour les donner à voir ». Cette double posture si flaubertienne nous fait nous souvenir de ses pairs|pères en littéraires : Flaubert toujours, mais aussi la trinité Pierre Michon, Pierre Bergougnoux et Richard Millet.

L’une des qualités de ce livre qui évite les chronologies obligées et les fils générationnels indéfiniment étirés… – « je fore des galeries pour tenter de déjouer, en vain bien entendu, l’implacable linéarité du temps » dit Marie-Hélène Lafon – c’est son aspect proliférant. Les douze tableaux qui constituent le livre sont à chaque fois une plongée dans le tréfonds des consciences et dans les coulisses du temps. Cette liberté narrative revendiquée oblige le lecteur à reconstruire, à retisser une histoire qui fuit et qui courre devant lui. Et si le style se veut retenu, « délesté », le théâtre de la langue et des mots nous emporte quand apparaît page 27 : « le Père Michon avec ses deux majuscules […] qui vient de Guéret et nous débite les bucoliques en tranches juteuses et impeccables avec une émotion presque contagieuse », ou quand s’en vient Mourot, le pion, qui « ne sent pas bon […] beurre rance poireau vinaigrette vieille soupe, des relents d’une nourriture, des stigmates d’une vie étriquée, recuite et réchauffée ».
On entend là le goût intime des mots, la jubilation à les associer, sans virgule et sans chichi.

Et puis, derrière l’Histoire du fils, du père 1-connu et de la mère secrète, il y a le vieux pays natal, le Cantal, cette « province en héritage », « ce monde qui n’en finit pas de finir », « un fort royaume perché où les arbres sont drus et la vue longue ; ce repère familial avec tous ces paysages qui sont le corps du monde.
Et bien sûr, il y a les frères aussi (le mort et le vivant), les cousines, les épouses, les tantes et les oncles, les neveux et les nièces… « Là où ça se croise, sans qui rien ne vient, rien ne tient… ».

A propos de ce livre de Marie-Hélène Lafon, l’on a envie d’emprunter à Pierre Michon le rapprochement fait entre Booz endormi (La Légende des siècles) de Victor Hugo et Trois Contes de Gustave Flaubert (publié trois ans après sa mort) : « il y a là des choses d’une simplicité limpide, d’une maîtrise technique parfaite, où la forme est là comme la chaleur d’une fournaise ».

Un beau roman qui tient chaud.

 

[1] A moins que nous n’évoquions le Prix des Grands Espaces – Maurice Dousset – remis (sauf contre-indication sanitaire) le 24 janvier prochain au château de Denonville à Louis-Philippe Dalembert, pour son roman Mur Méditerranée – Sabine Wespieser Editeur – qui traite d’un sujet difficile de façon terriblement, affreusement et magnifiquement romanesque : l’immigration clandestine.

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