Le temps qu’il fait
24.12.20 | Par Jean-Marc Providence, directeur de l’AMI

L’inquiétude météorologique est, probablement d’abord, celle du paysan qui lève les yeux vers le ciel pour organiser son travail, qui tapote comme mon grand-père, son baromètre deux à trois fois par jour pour savoir si « l’on va vers le beau », sans parler de celui, qui plus moderne, consulte quotidiennement les prévisions (à quinze jours) sur son téléphone portable ou son écran d’ordinateur.
L’historien du climat Emmanuel Le Roy Ladurie explique joliment qu’il n’a pris en charge ce sujet de recherche que parce qu’il s’intéressait à l’histoire du monde rural et agricole.
Aujourd’hui l’inquiétude météorologique s’est élargie du territoire et du pays à la planète, avec la prise de conscience de l’urgence climatique. Le temps qu’il fait est supplanté par le souci (mot de l’époque) du temps qui vient.

Couverture @Editions_Verdier

Mais lisant et relisant les carnets de notes de Pierre Bergounioux, édités sous la couverture jaune ensoleillée des Editions Verdier, l’on ne peut être que frappé par la richesse descriptive des ciels dans cette écriture autobiographique obstinée. Cette chronique de la vie, du travail et du chagrin d’être ; ces notes prises quasi quotidiennement depuis le mardi 16 décembre 1980 ; cet hymne à un petit pays (la Corrèze) dont Bergounioux dit être l’hôte et l’otage ; cette quête pour comprendre ce qui se passe, pourquoi nous sommes au monde, se déploient en 4 volumes sur 35 ans. Et sur quelques 4 500 pages sur papier bible qui disent l’obsession du temps qui passe et l’attention au temps qu’il fait.

Pour le plaisir de revenir sur cette écriture limpide et torrentielle, sur ces pages froidement analytiques et pourtant pleine d’émotions et d’émerveillement, l’on s’est attaché à regarder comment l’écrivain se faisait météorologue. A priori rien de plus banal que de parler du temps et donc de plus difficile que de se renouveler, d’éviter les expressions toutes faites, les adjectifs déjà battus et rebattus dans toutes les rédactions, scolaires ou non, ou d’écarter les métaphores les plus usées qui rapprochent le temps et l’humeur…

Il semble que Bergounioux y parvienne, poétiquement. C’est pourquoi nous nous sommes contentés (avec contentement) d’extraire quelques morceaux de ciel au cœur des 951 pages du 1er volume de ses mémoires (1980-1990), en nous abandonnant au seul plaisir des mots d’un auteur dont on aime la rigueur inspirée.

 

Ma 24.7.1984
« Il a plu, dans la nuit. Hier soir, un orage énorme a envahi le ciel d’un bord à l’autre. J’étais sur le plateau. L’horizon cillait sans discontinuer, la terre semblait attendre dans un silence pétrifié que le ciel la foudroie. »

Je 30.8.1984
« Belle journée d’août finissant, pareille, un peu, à un tableau ancien, au ciel pâli où l’on devine l’ébauche de beaux cumulus […] les grillons stridulent. Il flotte des parfums de verdure lasse, de fruits blets, le ciel, jaune d’or, passe à l’orange vif. »

Di 2.9.1984
« Il fait une journée splendide, très chaude mais sans oiseaux ni parfums ni espérances […] Un grand vent annonciateur d’orage se lève en fin de journée. Le sapin se convulse sous la rafale. »

Ve 5.10.1984
« Le vent a tourné. Ciel clair, tendant de hauts nuages laminaires pénétrant de fraîcheur. L’été nous a quitté sans cérémonie, sans reste. »

Ma 30.10.1984
« Ciel d’un bleu sublime, exquise tiédeur. »

Lu 19.11.1984
« Humide grisaille de novembre, mélancolie des lundis. »

Di 30.12.1984
« La clarté est très vive, la campagne hivernale comme fondue dans le bleu, les bois, les affleurements saupoudrés de lumière jaune. »

Je 17.1.1985
« Il fait – 16°. L’air râpe la gorge, fait tousser comme un alcool transparent et très fort qu’on boirait. »

Ve 22.2.1985
« Une semaine que le vent est à l’est et nous vaut un froid étincelant. »

Sa 30.3.1985
« Il fait clair et tiède, déjà. Le premier jour de printemps et c’est toujours le même étourdissement bien heureux, élémentaire. »

Lu 1.4.1985
« Il fait un temps étourdissant, très chaud, subitement. Le ciel est d’un bleu intense, moucheté de ronds petits nuages de beau temps, comme en plein été. »

Je 30.5.1985
« Radieux matin d’été, lumière fine, exubérance végétale, air tiède, comme lustral. »

Sa 1.6.1985
« Matin de juin. Il faut les revivre, chaque année, pour savoir combien ils excèdent le souvenir qu’on en garde, l’idée qu’on s’en fait lorsque c’est l’automne ou l’hiver, ou même le premier printemps. »

Sa 29.6.1985
« Le ciel se débarrasse, en court de journée, des grisailles du matin. Le soir est bleu, resplendissant, embaumé. »

Sa 6.7.1985
« L’auvergne est magnifique sous le soleil, l’herbe haute, plumeuse, les arbres opulents, le ciel glorieux. »

Ma 16.7.1985
« Le temps s’est remis après l’orage. Le ciel est d’un bleu violent, acide. »

Me 1.1.1986
« Un brouillard dense comme du lait, noie la lande. A l’est, il s’infuse d’ocre et de rose, sur nos têtes d’azur. Par endroit s’ouvre des porches lumineux puis les tentures de la brume se referment, que le jour limpide derrière colore d’un bleu profond. »

Je 6.3.1986
« Le temps a changé. Lorsque le matin gris s’éclaire, il y a, au ciel, quelque chose dont j’avais à peu près perdu le souvenir et ce sont les nuages. Depuis un mois et plus, nous n’avons connu que les deux extrêmes, soit des jours bas, opaques, plombés de neige, soit des ciels purs et glacés, métalliques. Et voilà que naviguent, sur l’horizon, de beaux cumulus joufflus tandis que des calmes écharpes de cirrus sont accrochés dans les hauts firmaments. »

Lu 10.3.1986
« Les nuages, d’un bleu cendré, rapetissent à mesure qu’on gagne de l’altitude et ne forment plus, à la fin, qu’une espèce de litière de poussière, des moutons sur du linoléum, tandis que, sur nos têtes, se déploie la fabuleuse coupole du ciel. »

Sa 17.5.1986
« Les marronniers, le long de l’eau, brillent de toutes leurs chandelles. »

Di 15.6.1986
« L’air est chargé des senteurs chavirantes de juin. Les acacias embaument. Les chênes brillent d’un vert profond. »

 Ma 23.9.1986
« A nouveau le brouillard. L’automne est entré dans le paysage. »

Di 2.11.1986
« La pluie a cessé. Une pâle lumière tombe du ciel brouillé. »

Sa 15.11.1986
« Le ciel du soir est magnifique, de papier gros bleu, profond, tirebouchonné de rouge, comme l’écrit Proust. »

Je 25.12.1986
« Seul sur le tronçon d’autoroute qui mène d’Orléans à Salbris, entre les bois infusés de brouillard. »

 Je 8.1.1987
« Quelques flocons de neige rayaient la nuit du matin. »

Lu 19.1.1987
« Ciel de plomb sur la neige tenace. »

Je 29.1.1987
« Après 3 semaines de grisaille et de froid dur, il fait grand soleil et le bleu du ciel est comme une révélation. La neige fond doucement. »

Ma 14.4.1987
« Matin clair, frissonnant, auquel succèdera un tiède après-midi. »

Sa 25.4.1987
« Il a plu un peu. La feuillaison fait l’air vert et je m’avise que j’avais encore le cœur en hiver. »

Lu 18.5.1987
« On se croirait en novembre sous le ciel sombre, le vent froid et c’est la même désolée saison, dedans. »

Ma 7.7.1987
« Ciel bouché il pleut. Des lambeaux de vapeur s’accrochent aux pentes des gorges. »

Sa 19.9.1987
« L’été que nous n’avons pas eu s’est comme établi à contretemps parmi nous. »

Sa 17.10.1987
« Le soir est magnifique, le soleil bas répand à profusion ses ors, ses feux, ses éclatants reflets, sous le ciel suave. »

Lu 26.10.1987
« Les arbres viennent de commencer à flamber, les feuillus brûlent d’un or pâle que les sapins et les cèdres avoisinants exaltent, par contraste. »

Pierre Bergounioux dans son obstination à cerner les mystères du monde et à comprendre ce qui se passe dans nos vies a mis le temps qu’il fait et celui qui passe au centre de son livre de raison.

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